CAS CONTACT
Louis et Annette sont à table. Ils mangent un velouté de courgettes.
ANNETTE. – Alors ? Il est bon mon velouté ?
LOUIS. – Très bon. On sent bien la courgette.
ANNETTE. – Je suis contente de te l'entendre dire.
LOUIS. – En même temps, il n'y a que ça, là-dedans, de la courgette...
ANNETTE. – Oui mais je me suis démenée pour les avoir ces courgettes.
LOUIS. – Comment ça tu t'es démenée ? Tu es allée chez l'épicier du coin de la rue comme d'habitude et tu lui as acheté trois courgettes, non ?
ANNETTE. – Figure-toi que non. Je ne suis pas allée chez l'épicier du coin de la rue. Je suis allée chez monsieur Borange.
LOUIS. – C'est qui, Monsieur Borange ?
ANNETTE. – Le primeur de Saint-Cyprien.
LOUIS. – Tu es allée à Saint-Cyprien ?
ANNETTE. – Oui.
LOUIS. – À quinze kilomètres ?!
ANNETTE. – Et alors ?
LOUIS. – Je te rappelle que nous sommes confinés !
ANNETTE. – J'avais une attestation je te signale ! (Elle sort son attestation.) Regarde : « Achats de produits de première nécessité ».
LOUIS. – Les produits de première nécessité, tu les as au coin de la rue !
ANNETTE. – Les courgettes sont meilleures chez Monsieur Borange !
LOUIS. – Quinze bornes pour des courgettes... En pleine pandémie... Il avait un masque au moins ?
ANNETTE. – Qui ça ?
LOUIS. – Ton primeur.
ANNETTE. – Oui, il en avait un. Enfin... presque.
LOUIS. – Comment ça « presque » ?
ANNETTE. – Il avait un masque mais il le portait sous le nez.
LOUIS. – Alors ça c'est la meilleure ! On se confine, on sacrifie l'économie, on ferme les bars les restaurants, les théâtres, on arrête de vivre et le primeur porte son masque sous le nez !
ANNETTE. – Monsieur Borange a quand même mis du gel hydroalcoolique.
LOUIS. – Encore heureux ! Tu n'as croisé personne d'autre j'espère ?
ANNETTE. – Si, Jacqueline.
LOUIS. – Jacqueline ?
ANNETTE. – Jacqueline Bourdet, ma vieille copine.
LOUIS. – Tu ne lui as pas fait la bise au moins ?
ANNETTE. – Ben si. Depuis le temps qu'on se connaît...
Louis, hurlant. – Et les gestes barrière alors ?!
ANNETTE. – C'est bon, elle n'est pas malade, Jacqueline !
LOUIS. – J'espère bien !
ANNETTE. – Par contre son mari, oui.
LOUIS. – Mais alors... Elle est cas contact !
ANNETTE. – Voilà, cas contact. Pas malade.
LOUIS. – Mais du coup toi aussi tu es cas contact !
ANNETTE. – Mais non...
LOUIS. – Et moi aussi ! Oh je me sens mal... (Il tousse.) Ça y est, j'ai le Covid...
ANNETTE. – La.
LOUIS. – Quoi la ?
ANNETTE. – On dit la Covid.
LOUIS. – Personne ne dit la Covid !
ANNETTE. – Peut-être mais c'est comme ça qu'il faut dire.
LOUIS. – Tu me fatigues, je te jure... (Il reprend une cuillère de velouté.) Je ne sens plus rien ! (Il panique.) J'ai perdu le goût ! Jacqueline est cas contact, tu es cas contact, je suis cas contact et on est tous contaminés ! On va devoir se mettre en quarantaine !
ANNETTE. – On y est déjà un peu...
LOUIS. – Ce sera pire parce qu'on sera malades ! J'ai perdu le goût je te dis ! Je ne sens plus rien dans ta soupe !
ANNETTE. – Ce n'est pas une soupe, c'est un velouté.
LOUIS. – Mais quelle horreur ! Pendant la deuxième vague !
ANNETTE. – Calme-toi, tu n'as pas perdu le goût. Mets un peu de ce condiment ça ira mieux.
Elle met du condiment dans son assiette. Il goûte.
LOUIS. – Tiens oui.... (Il continue à manger.) Pas mauvais ce condiment... Qu'est-ce que c'est ?
ANNETTE. – Je ne sais pas trop. C'est Monsieur Borange qui me l'a donné. Il m'a dit que ça venait de loin.
Louis, suspicieux. – D'où exactement ?
ANNETTE. – Je ne sais plus... Wana... Wawé... Huwa...
LOUIS. – Wuhan ?
ANNETTE. – Oui voilà, Wuhan. Tu connais ?
LOUIS. – Oui, je connais (Il soupire.) Je connais...
Jacques Barutet