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DERNIERE VOLONTE !
Un couple de plus de 50 ans lui, habillé avec un jogging très ringard, moulant et des chaussons.
YVES. – Chérie ! Quelle heure est-il ?
THERESE. – Seize heures vingt, pourquoi ?
YVES. – C’est pour marquer sur l’attestation.
THERESE. – Encore ! C’est quand même la septième fois que tu sors aujourd’hui !
YVES. – Oui, mais moi, j’aime pas qu’on m’impose !
THERESE. – Mais Yves, qu’est-ce que tu n’as pas compris dans « confinement » : ça veut dire, il faut rester chez soi !
YVES. – Mais il faut que je prenne l’air, moi !
THERESE. – Tu veux prendre l’air : ouvre la fenêtre ! Ils ont dit qu’il fallait aérer, ça tombe bien !
YVES. – Mais il faut que je bouge !
THERESE. – Alors, avant le confinement, tu voulais jamais sortir te balader, maintenant que c’est interdit, t’es toujours dehors !
YVES. – Je suis un rebelle, moi !
THERESE. – Ah oui ! Le rebelle devant sa télé ! Et pourquoi tu as mis ton vieux survêtement, c’est ridicule !
YVES. – Si je croise les gendarmes, je leur dirai que je fais mon sport !
THERESE. – Mais t’es pas crédible, mon pauvre ! Retire tes charentaises au moins !
YVES. – Mais, mes anciennes baskets, elles sont percées !
THERESE. – Mais la dégaine que t’as, mon chéri. On dirait que tu vas au carnaval de Dunkerque !
YVES. – Quoi ! Tu crois qu’il faut que je mette du fluo pour faire plus vrai !
THERESE. – Non, arrête les frais ! C’est pas la gay pride !
YVES. – Quoi ! Je ne suis pas bien comme ça ?
THERESE. – Ben déjà, ton survêt, tu l’avais acheté quand je t’ai connu, alors j’aime mieux te dire que t’as autant l’air d’un sportif que moi de Miss France !
YVES. – Qu’est-ce qu’il a mon survêtement ?
THERESE. – Trente ans !
YVES. – Ils m’ont arrêté plusieurs fois, hier, les flics ! La première fois, je revenais du bureau de tabac ! Ils m’ont dit : c’est pas un produit de première nécessité. « Ben si » que je leur réponds en montrant mes paquets de clopes. Sauf que sur les paquets c’est marqué : « Fumer tue ». Alors là, forcément, comme première nécessité, c’était moins crédible.
THERESE. – Et la deuxième fois, tu m’as dit : c’est quand tu es parti sortir Choupette !
YVES. – Non, ça c’était la troisième fois ! La deuxième fois, j’ai pris un air désolé et je leur ai dit que j’allais au cimetière.
THERESE. – Mais on ne connaît personne enterré dans ce cimetière.
YVES. – Oui, mais j’étais pris au dépourvu, alors j’ai improvisé.
THERESE. – Qu’est-ce que tu leur as raconté ?
YVES. – Ah oui, d’ailleurs, il vaudrait mieux que tu ne sortes plus jusqu’à la fin du confinement !
THERESE. – Et c’est toi qui es toujours dehors qui me dit ça ! Et pourquoi tu veux que je reste enfermée ?
YVES. – Et bien, je leur ai dit que j’allais sur la tombe de ma femme qui est morte il y a trois jours ! Alors s’il te croise en ville, je suis grillé !
THERESE. – Et bien tu as eu vite fait de m’enterrer !
YVES. – C’était ça ou 135 € !
THERESE. – Il tuerait sa femme pour économiser 135 balles, le bourricot ! Et aujourd’hui, trois jours après la mort de ta femme, tu pars faire un jogging ! C’est sûr qu’ils vont vachement te croire !
YVES. – Je leur dirais que je me suis habillé plus jeune pour essayer de refaire ma vie !
THERESE. – Trois jours de deuil, oui, c’est cool, t’as pas eu le temps de tomber en dépression au moins !
YVES. – Arrête de te moquer, ça se voit que c’est pas toi qui pleures tous les soirs, seul, dans ton lit !
THERESE. – N’en fais pas trop, chéri ! Gardes-en pour les flics !
YVES. – Tant que je sors, tu veux que je te ramène quelque chose ?
THERESE. – Je l’ai toujours dit : je ne veux ni fleurs ni couronne ! Par contre, toi, tu vas aller te prendre une bière, je parie !
YVES. – Les bistrots sont fermés, figure-toi !
THERESE. – Oui, mais les supermarchés sont ouverts !
YVES. – T’as raison, c’est une bonne idée, je vais faire un crochet par Carrefour !
THERESE. – Alors, puisque tu m’as déjà enterrée, j’ai le droit à une dernière volonté !
YVES. – Bien sûr ma chérie !
THERESE. – Je t’autorise à acheter de la bière, mais à une condition : je choisis la marque !
YVES. – Pas de problème !
THERESE. – Tu vas te prendre une « Mort subite » ! Comme ça, on est quitte !
François Scharre